L’étude menée par Ipsos pour L’Observatoire E.Leclerc des Nouvelles Consommations révèle que « 37 % des Français déclarent acheter davantage de produits frais depuis le début de la crise sanitaire du Covid-19 », comment expliquez-vous cet engouement ?
Julien Bouillé : Durant la période de confinement, nous avons effectivement observé une consommation plus locale qu’auparavant. Qu’il s’agisse du lieu géographique d’achat, mais également de l’origine des produits. Par leurs achats auprès de producteurs locaux et de commerces de proximité, les consommateurs ont fait preuve de solidarité. De fait, pour certains commerçants, le risque de faillite était réel. Par ailleurs, pour tous ceux qui avaient pour intention de se tourner vers davantage de produits frais, la crise a accéléré le mouvement. Si, auparavant, les critères sanitaires et environnementaux ne concernaient qu’une mince frange de la société, la crise sanitaire a accéléré la tendance. Il est fort probable que cette solidarité se poursuive dans le temps et que les consommateurs se positionnent davantage encore sur des produits frais et locaux. Cette tendance se développera dans la durée. Cependant, pour l’heure, nous constatons surtout des « achats plaisirs ». Une tendance qui pourrait se prolonger jusqu’à mi-juin, avant que de nouvelles formes de solidarités se mettent en place.
Dans le même temps, l’étude nous dit aussi que « 57 % des Français affirment accorder davantage d’importance aux prix des articles depuis la crise du Covid-19 » …
Julien Bouillé : Certains critères vont effectivement entrer en conflit. Choisir de bien manger et de bien consommer à un coût et, dans le même temps, l’inquiétude vis à vis du pouvoir d’achat va s’accroitre au cours des prochains mois et des prochaines années. Il va donc y avoir un arbitrage à faire entre consommation de produits frais, locaux et budget. A mon sens, il existe désormais trois types de consommateurs. Aux deux extrêmes se trouvent ceux qui sont focalisés sur la variable budget et ceux focalisés sur les variables écologie et sanitaire. Pour ces deux extrêmes, le confinement a cristallisé leurs comportements. A l’avenir, la variable budget ou la variable écologique et sanitaire sera renforcée et deviendra prépondérante. Reste la population des consommateurs situés entre deux qu’il est possible de qualifier « d’indécis ». Nous pouvons faire un parallèle avec la sphère politique. Ces indécis pourraient basculer vers un extrême ou l’autre, sous l’influence de leur entourage.
La très grande majorité des Français (69 %) a profité du temps de confinement pour cuisiner de bons plats maisons. Comment expliquer cette passion soudaine pour la cuisine?
Julien Bouillé : Au-delà du simple aspect nourricier, la cuisine s’est imposée comme une activité fédérant le foyer, ce qui est loin d’être accessoire ! Le regard que les familles ont posé sur cette pièce de la maison a changé. Durant le confinement, il y avait une consommation de l’espace avec une superposition des fonctions au sein du logement. La cuisine n’était plus seulement le lieu où se créent et se prennent les repas, mais également un espace de partage, de discussions, un espace de décompression psychologique et parfois même un lieu de télétravail.
La crise a également amené un changement dans la répartition des tâches au sein du foyer avec 63 % des hommes affirmant se charger de la totalité ou quasi-totalité des courses alimentaires, contre 58 % avant la crise. Comment expliquer ce phénomène ?
Julien Bouillé : Il faut bien avoir à l’esprit que, durant la période de confinement, le pays a principalement fonctionné grâce aux femmes. En effet, les professions de santé sont très féminisées. La progression de la part des hommes prenant en charge les courses révèle sans doute que les hommes ont souhaité soulager leur conjoint mobilisé en première ligne. Au sein des familles n’étant pas directement touchées par la gestion de la crise, le confinement a eu pour effet de mettre tout le monde sur le même pied d’égalité. Tout le monde étant concerné, chacun a dû prendre en charge une part des tâches. Cet équilibre n’en demeure néanmoins très précaire : l’augmentation n’est que de 5 points !